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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

rai par m’y adorer moi-même, comme feu Narcisse d’égoïste mémoire. — Pour me garantir d’un aussi grand malheur, je me regarde dans tous les miroirs et dans tous les ruisseaux que je rencontre. Au vrai, à force de rêveries et d’aberrations, j’ai une peur énorme de tomber dans le monstrueux et le hors nature. Cela est sérieux, et il y faut prendre garde. — Adieu, mon ami ; — je vais de ce pas chez la dame rose, de peur de me laisser aller à mes contemplations habituelles. — Je ne pense pas que nous nous occupions beaucoup de l’entéléchie, et je crois que, si nous faisons quelque chose, ce ne sera pas à coup sûr du spiritualisme, bien que la créature soit fort spirituelle : je roule soigneusement et serre dans un tiroir le patron de ma maîtresse idéale pour ne pas l’essayer sur celle-ci. Je veux jouir tranquillement des beautés et des mérites qu’elle a. Je veux la laisser habillée d’une robe à sa taille, sans tâcher de lui adapter le vêtement que j’ai taillé d’avance et à tout événement pour la dame de mes pensées. — Ce sont de fort sages résolutions, je ne sais pas si je les tiendrai. — Encore une fois, adieu.


III


Je suis l’amant en pied de la dame rose ; c’est presque un état, une charge, et cela donne de la consistance dans le monde. Je n’ai plus l’air d’un écolier qui cherche une bonne fortune parmi les aïeules et qui n’ose débiter un madrigal à une femme, à moins qu’elle ne soit centenaire : je m’aperçois depuis mon installation, que l’on me considère beaucoup plus, que toutes les femmes me parlent avec une coquetterie jalouse et font de grands frais pour moi. — Les hommes, au contraire, y mettent plus de froideur, et, dans le peu de mots que