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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

nous échangeons, il y a quelque chose d’hostile et de contraint ; ils sentent qu’ils ont en moi un rival déjà redoutable et qui peut le devenir davantage. — Il m’est revenu que beaucoup d’entre eux avaient amèrement critiqué ma façon de me mettre, et avaient dit que je m’habillais d’une manière trop efféminée : que mes cheveux étaient bouclés et lustrés avec plus de soin qu’il ne convenait ; que cela, joint à ma figure imberbe, me donnait un air damoiseau on ne peut plus ridicule ; que j’affectais pour mes vêtements des étoffes riches et brillantes qui sentaient leur théâtre, et que je ressemblais plus à un comédien qu’à un homme : — toutes les banalités qu’on dit pour se donner le droit d’être sale et de porter des habits pauvres et mal coupés. Mais tout cela ne fait que blanchir, et toutes les dames trouvent que mes cheveux sont les plus beaux du monde, que mes recherches sont du meilleur goût, et semblent fort disposées à me dédommager des frais que je fais pour elles, car elles ne sont point assez sottes pour croire que toute cette élégance n’ait pour but que mon embellissement particulier.

La dame du logis a d’abord paru un peu piquée de mon choix, qu’elle croyait devoir nécessairement tomber sur elle, et pendant quelques jours elle en a gardé une certaine aigreur (envers sa rivale seulement ; car, pour moi, elle m’a toujours parlé de même), qui se manifestait par quelques petits : — Ma chère, — dits avec cette manière sèche et découpée que les femmes ont seules, et par quelques avis désobligeants sur sa toilette donnés à aussi haute voix que possible, comme : — Vous êtes coiffée beaucoup trop haut et pas du tout à l’air de votre visage ; ou : — Votre corsage poche sous les bras ; qui vous a donc fait cette robe ? Ou : — Vous avez les yeux bien battus ; je vous trouve toute