Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/155

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son rideau ; malheureux, je savourais cette douceur amère, que nul n’était mieux partagé que moi. Je ne possédais pas le trésor, mais aucun autre n’en avait la clef.

« Et maintenant, c’est fini, plus d’espoir ! Si elle me repoussait quand elle n’aimait personne, que sera-ce à présent que sa répulsion contre moi s’augmente de toute sa sympathie pour un autre ! Oh ! je le sens bien ! Aussi, comme j’écartais tous ceux qu’attirait sa beauté ! comme je faisais bonne garde autour d’elle ! Ce pauvre Luca et ce pauvre Ginès, comme je vous les ai arrangés, et cela pour rien ! et j’ai laissé passer l’autre, le vrai, le dangereux, celui qu’il fallait tuer ! Main maladroite, esclave imbécile qui n’as pas su faire ton devoir, sois punie ! »

En disant cela, Juancho mordit sa main droite si cruellement que le sang fut près de jaillir.

« Quand il sera guéri, je le provoquerai une seconde fois, et je ne le manquerai plus. Mais si je le tue, jamais Militona ne voudra me revoir ; de toute façon elle est perdue pour moi. C’est à en devenir fou ; il n’y a aucun moyen. S’il pouvait mourir naturellement par quelque catastrophe soudaine, un incendie, un écroulement de maison, un tremblement de terre, une peste. Oh ! je n’aurai pas ce bonheur-là. Démons et furies ! Quand je pense que cette âme charmante, ce corps si parfait, ces beaux yeux,