Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/160

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Ce néant de douze heures sauva Juancho de la folie ; il se leva sans fièvre, sans mal de tête, mais faible comme dans la convalescence d’une maladie de six mois. Le sol se dérobait à ses pieds, la lumière étonnait ses yeux, le moindre bruit l’étourdissait ; il se sentait l’esprit creux et l’âme vide. Un grand écroulement s’était fait en lui. A la place où s’élevait autrefois son amour, il y avait un gouffre que rien désormais ne pouvait remplir.

Il resta un jour dans cette auberge, et se trouvant mieux, car son énergique nature reprenait le dessus, il se fit donner un cheval et se dirigea vers Madrid, rappelé par cet instinct étrange qui ramène aux spectacles douloureux : il éprouvait le besoin d’inonder ses blessures de poison, d’élargir ses plaies et de se retourner lui-même le couteau dans le cœur ; il était trop loin de son malheur : il voulait s’en rapprocher, pousser son martyre jusqu’au bout, s’enivrer de son absinthe, se faire oublier la cause du mal par l’excès de la souffrance.

Pendant que Juancho promenait sa douleur, des alguazils le cherchaient de tous côtés, car la voix publique le désignait comme étant celui qui avait donné le coup de couteau au seigneur Andrès de Salcedo. Celui-ci, comme vous le pensez bien, n’avait pas porté plainte ; c’était bien assez d’avoir pris au pauvre Juancho celle qu’il aimait, sans encore lui prendre la liberté ; Andrès ignorait