Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Le lundi, c’est le jour des taureaux, et, mon cher don Andrès ! n’essayez pas de le nier, il vous serait plus agréable d’être en ce moment-ci à la porte d’Alcala qu’assis devant mon piano. Votre passion pour cet affreux plaisir est donc incorrigible ? Oh ! quand nous serons mariés, je saurai bien vous ramener à des sentiments plus civilisés et plus humains.

— Je n’avais pas l’intention formelle d’y assister… cependant j’avoue que, si cela ne vous contrariait pas… je suis allé hier à l’Arroyo d’Abrunigal, et il y avait entre autres quatre taureaux de Gaviria… des bêtes magnifiques, un fanon énorme, des jambes sèches et menues, des cornes comme des croissants ! et si farouches, si sauvages, qu’ils avaient blessé l’un des deux bœufs conducteurs ! Oh ! quels beaux coups il va se faire tout à l’heure dans la place, si les toreros ont le cœur et le poignet fermes ! » s’écria impétueusement Andrès, emporté par son enthousiasme d’aficionado.

Feliciana, pendant cette tirade, avait pris un air suprêmement dédaigneux, et dit à don Andrès :

« Vous ne serez jamais qu’un barbare verni ; vous allez me donner mal aux nerfs avec vos descriptions de bêtes féroces et vos histoires d’éventrements… et vous dites ces horreurs avec un air de jubilation, comme si c’étaient les plus belles choses du monde. »