Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/21

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les caleseros juraient comme des possédés ; les bâtons résonnaient sur l’échine des rosses rétives ; les grelots, suspendus par grappes aux têtières des mules, faisaient un tintamarre assourdissant ; les deux mots sacramentels de la langue espagnole étaient renvoyés d’un groupe à l’autre comme des volants par des raquettes.

Dans cet océan humain apparaissaient de loin en loin, pareils à des cachalots, des carrosses du temps de Philippe IV, aux dorures éteintes, aux couleurs passées, traînés par quatre bêtes antédiluviennes ; des berlingots, qui avaient été fort élégants du temps de Manuel Godoy, s’affaissaient sur leurs ressorts énervés, plus honteusement délabrés que les coucous des environs de Paris, réduits à l’inaction par la concurrence des chemins de fer.

En revanche, comme pour représenter l’époque moderne, des omnibus, attelés de six à huit mules maintenues au triple galop par une mousqueterie de coups de fouet, fendaient la foule, qui se rejetait, effarée, sous les arbres écimés et trapus dont est bordée la rue d’Alcala, à partir de la fontaine de Cybèle jusqu’à la porte triomphale élevée en l’honneur de Charles III.

Jamais chaise de poste à cinq francs de guide, au temps où la poste marchait, n’a volé d’un pareil train. Les omnibus madrilènes, ce qui explique cette vélocité phénoménale, ne vont que deux heures par