Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/25

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Au moment où Andrès passait sous une des trois arcades de la porte d’Alcala, un calesin fendait la foule au milieu d’un concert de malédictions et de sifflets : car c’est ainsi que le peuple accueille en Espagne tout ce qui le dérange au milieu de ses plaisirs et semble porter atteinte à la souveraineté du piéton.

Ce calesin était de l’extravagance la plus réjouissante ; sa caisse, portée par deux énormes roues écarlates, disparaissait sous une foule d’amours et d’attributs anacréontiques, tels que lyres, tambourins, musettes, cœurs percés de flèches, colombes se becquetant, exécutés à des époques reculées par un pinceau plus hardi que correct.

La mule, rasée à mi-corps, secouait de sa tête empanachée tout un carillon de grelots et de sonnettes. Le bourrelier qui avait confectionné son harnais s’était livré à une débauche incroyable de passementeries, de piqûres, de pompons, de houppes et de fanfreluches de toutes couleurs. De loin, sans les longues oreilles qui sortaient de ce brillant fouillis, on eût pu prendre cette tête de mule ainsi attelée pour un bouquet de fleurs ambulant.

Un calesero de mine farouche, en manches de chemise et la chamarre de peau d’Astracan au coin de l’épaule, assis de côté sur le brancard, bâtonnait à coups de manche de fouet la croupe osseuse de sa bête, qui s’écrasait sur ses jarrets et se jetait en avant avec une nouvelle furie.