Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/57

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dans son âme, bien que sa bouche sourît. Perico, incertain, décrivait autour du groupe des cercles embarrassés ; tout jeune qu’il était, il avait compris qu’il ne fallait pas donner à un jeune homme l’adresse d’une manola devant une jeune personne si bien habillée à la française. Seulement il s’étonnait en lui-même qu’un cavalier qui connaissait de si belles dames à chapeau prît intérêt à une manola en mantille.

« Que nous veut donc ce garçon, qui nous regarde avec ses grands yeux noirs comme s’il voulait nous avaler ?

— Il attend sans doute que je lui jette le bout de ce cigare éteint », répondit Andrès en joignant l’action à la parole et en faisant un imperceptible signe qui voulait dire : « Reviens, quand je serai débarrassé. »

L’enfant s’éloigna, et tirant un briquet de sa poche, fit du feu et se mit à humer le havane avec la componction d’un fumeur accompli.

Mais Andrès n’était pas au bout de ses peines. Feliciana se frappa le front de sa main étroitement gantée, et dit, comme sortant d’un rêve : « Mon Dieu, j’étais si préoccupée tantôt de notre duo de Bellini, que j’ai oublié de vous dire que mon père, don Geronimo, vous attend à dîner. Il voulait vous écrire ce matin ; mais comme je devais vous voir dans l’après-midi, je lui ai dit que ce n’était pas la peine.