Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/75

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lui semblait un problème insoluble et dont il cherchait en vain l’inconnue. N’était-il pas jeune, beau, vigoureux, plein d’ardeur et de courage ? les plus blanches mains de l’Espagne ne l’avaient-elles pas applaudi mille fois ? ses costumes n’étaient-ils pas brodés d’autant d’or, enjolivés d’autant d’ornements que ceux des plus galants toreros ? son portrait ne se vendait-il pas partout lithographié, imprimé dans les foulards avec une auréole de couplets laudatifs, comme celui des maîtres de l’art ? Qui, Montès excepté, poussait plus bravement une estocade et faisait agenouiller plus vite un taureau ? Personne. L’or, prix de son sang, roulait entre ses doigts comme le vif-argent. Que lui manquait-il donc ? Et il se cherchait avec bonne foi un défaut qu’il ne se trouvait pas ; et il ne pouvait s’expliquer cette antipathie, ou tout au moins cette froideur, que par un amour pour un autre. Cet autre, il le poursuivait partout ; le plus frivole motif excitait sa jalousie et sa rage ; lui qui faisait reculer les bêtes farouches, il se brisait contre la persistance glacée de cette jeune fille. L’idée de la tuer pour faire cesser le charme lui était venue plus d’une fois. Cette frénésie durait depuis plus d’un an, c’est-à-dire depuis le jour où il avait vu Militona, car son amour, comme toutes les fortes passions, avait acquis tout de suite son développement : l’immensité ne peut grandir.