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HENRY MURGER

NÉ EN 1822 — MORT EN 1861

La jeunesse a été l’une des préoccupations de Henry Murger, et l’on peut dire son unique préoccupation. Pour lui, la vie semblait devoir s’arrêter à la vingtième année. Il ne regardait pas en avant, mais en arrière ; et, à chaque pas qu’il faisait, il retournait la tête. Le présent n’existait guère à ses yeux, et il ne vivait que dans le passé. Il s’affligeait de ne plus sentir ce frais étonnement des émotions et des choses qu’on n’éprouve qu’une fois, et sa pensée y revenait sans cesse. Tout chez lui était rétrospectif, et sa poésie, pour se colorer, avait besoin de traverser le prisme du souvenir. — Quoiqu’il soit mort à trente-huit ans, son talent n’en a jamais eu que vingt-cinq. Comme certains acteurs qui continuent, malgré leur âge, les rôles d’amoureux, il ne pouvait jouer que les jeunes premiers. Sur son arbre la fleur ne devait pas se nouer en fruit ; il fallait qu’elle restât fleur éternellement, et si elle se détachait de la branche, c’était pour aller parfumer de son empreinte flétrie les pages de quelque reliquaire. Un bouquet de violettes fané, un bout de ruban défraîchi, une boucle de cheveux sous verre, un gant