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HENRY MURGER.

aigu qui raille le violoncelle, car rien n’est plus tendre, plus amoureux, plus suave que les pièces précédées de cet avis bouffon.

L’amour comme Murger le comprend est d’une espèce particulière. Vous ne trouvez pas chez lui les supplications ardentes, les galanteries hyperboliques, les lamentations exagérées de la poursuite, pas plus que les dithyrambes à plein vol, et les odes enivrées du triomphe ; n’y cherchez pas non plus les grands désespoirs, les éternels sanglots et les cris à fendre les cieux. — Cet amour ne se présente guère qu’à l’état de souvenir ; heureux, il se tait ; pour le faire parler, il faut l’abandon, l’infidélité, la mort ! Où le plaisir fut silencieux, la douleur pousse un soupir. À vrai dire, ce qui plaît à Murger dans l’amour, c’est la souffrance. Ses blessures aiment leur épine et ne voudraient pas guérir. Accoudé mélancoliquement, il regarde les gouttes rouges perler et tomber une à une, et il ne les arrête pas, dût sa vie s’en aller avec elles. — Sa maîtresse, il ne l’a pas choisie ; le hasard a formé le lien éphémère ; le caprice le dénouera ; l’hirondelle est entrée par la fenêtre ouverte ; un beau jour elle s’envolera, obéissant à son instinct voyageur ; le poëte le sait, et il n’est pas nécessaire de lui répéter avec Shakspeare : « Fragilité, c’est le nom de la femme. » La trahison, il l’a prévue ; mais il en souffre et il s’en plaint avec une amertume si douce, une ironie si mouillée de larmes, une tristesse si résignée que son émotion vous gagne. — Peut-être, cette femme regrettée, ne l’aimait-il pas fidèle ; mais maintenant, transfigurée par l’absence, il l’adore. Un fantôme charmant a remplacé l’idole vulgaire, et Blusette vaut les Béatrix et les Laure.

Deux pièces, dans cette portion du volume intitulée les Amoureux, donnent la note dominante de Murger, le Requiem d’amour et la Chanson de Musette. Dans la pre-