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MÉRY.

nait à première vue tous les jeux et il était de première force aux échecs.

La vie de Méry se scinde en deux époques bien distinctes, et l’on peut dire de lui qu’il a eu deux gloires et deux renommées. La première n’est pas très-connue de la génération actuelle, et pourtant elle fit grand bruit sous la Restauration. Dès ses débuts, Méry se jeta dans le parti bonapartiste et libéral, et il fit avec Barthélémy les Sidéennes et la Villéliade. La Villéliade, payée 25,000 fr., se vendit à un nombre prodigieux d’exemplaires, et, l’intérêt politique évanoui, on peut y admirer encore beaucoup de traits piquants, une force de style et une perfection métrique qui ne furent dépassées que par la nouvelle école. Napoléon en Égypte marque un moment de répit sous le ministère pacificateur de Martignac ; mais bientôt les satires reprennent de plus belle, et cela dure jusqu’à la révolution de Juillet, à laquelle Méry prit une part active. Il collabora avec Barthélémy à la Némésis, un satire en vers qui paraissait chaque semaine, étonnant tour de force poétique qu’on n’a pas oublié et qui ne put se continuer, non pas faute de verve ou de rimes, mais faute de cautionnement. La Némésis muselée, Méry s’en alla rejoindre en Italie les exilés de la famille impériale, à qui il fut toujours dévoué.

La seconde réputation de Méry date de cette trilogie de romans : Heva, la Guerre du Nizam, la Floride, où les caractères les plus étranges et les plus originaux se meuvent à travers de fantastiques complications d’événements, dans des paysages grandioses, sauvages ou édéniques. Jamais l’Inde ne fut mieux peinte avec ses forêts impénétrables, ses jungles, ses pagodes, ses lacs pleins de crocodiles sacrés, ses brahmes, ses thugs, ses éléphants, ses tigres, ses maharadjahs et ses résidents