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LÉON GOZLAN.

aussi bien mis que le comte d’Orsay ; et, si l’on n’écrivait pas avec des manchettes de dentelles comme Buffon, au moins on mettait des gants paille ou gris-perle après avoir fait de la copie.

Léon Gozlan, à ce qu’il paraît, avant de venir à Paris, avait été marin : il avait fait vers des contrées lointaines des voyages restés mystérieux, et les petits journaux du temps l’accusaient même d’avoir tué son capitaine et de s’être livré à la piraterie. En cette époque d’enthousiasme pour les corsaires, les Uscoques, les Lara, les Giaours et autres héros byroniens, l’accusation était flatteuse, et Léon Gozlan laissait dire. Mais avec son fin sourire et son intraduisible accent de Marseillais il répondait : « Je l’ai tué, mais je l’ai mangé, ce qui a fait disparaître toute trace du crime. »

La qualité dominante du talent de Léon Gozlan était l’esprit, non pas un esprit d’improvisateur comme celui de Méry, mais un esprit taillé à facettes, coupant sur toutes ses carres comme un diamant, et ce diamant lui a suffi pour écrire son nom sur cette glace banale où tant de visages viennent se regarder sans laisser trace. Personne n’a fait mieux que lui la nouvelle à la main, l’article de petit journal. Ses critiques étaient comme ces stylets vénitiens à lame de cristal qui se brisaient dans la plaie, mais dont les manches n’en étaient pas moins des chefs-d’œuvre de ciselure et d’orfèvrerie.

Ce n’était là sans doute qu’un des côtés de cette nature si bien douée ; mais, avant toute chose, Gozlan éblouissait par un pétillement d’étincelles de toutes les nuances. Car son esprit n’était pas incolore comme celui des gens purement spirituels à la façon de Voltaire, de Chamfort et de Stendhal ; il s’y mêlait beaucoup d’imagination, de poésie et de pittoresque. Ce n’était pas à développer quelque lieu commun de bon sens que Léon Gozlan