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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

d’autrefois. Il nous parut un peu pâle, — c’est la couleur des lettres, car le reflet du papier s’attache à nos figures, — mais jamais nous n’aurions imaginé que c’était notre rencontre suprême avec lui sur cette terre et que nous ne le reverrions plus : — Never, oh ! never more, — comme dit Edgar Poë dans le sinistre refrain de sa ballade du Corbeau. Quelques pas de plus, et la trappe cachée s’ouvrait sous ses pieds, dans ce plancher perfide qui couvre l’ombre éternelle et le mystère insondable, et il allait rejoindre Martin, Méry, son compatriote, et Roger de Beauvoir, sans compter les morts plus anciens, s’il y a un âge dans le tombeau.

Nous ignorons tout du fatal événement ; nous ne savons que la nouvelle dans toute la sécheresse télégraphique ; mais nous dirons ce que notre mémoire nous rappellera, à travers notre trouble, du Léon Gozlan que nous connaissions depuis une trentaine d’années. Dans sa jeunesse, il possédait au plus haut degré la beauté du juif d’Orient : — nous ignorons s’il était Israélite de fait ou de descendance. — Il avait la tête un peu grande peut-être pour sa taille, mais d’une correction parfaite ; un nez légèrement aquilin, des yeux noirs à paupière souple et large, d’où s’échappaient des flamboiements de lumière ; des cheveux fins, lustrés, brillants, d’un noir de jais et qui, comme ceux des Maltais, se tordaient naturellement en petites spirales, un teint olivâtre, uni, coloré d’un chaud hâle méridional ; il était Phocéen comme Méry, comme Guinot, comme Amédée Achard, comme tant d’autres, qui ont su faire honneur aux lettres et à leur ville natale. Il était très-élégant, très-soigné et recherché dans son costume. Les poëtes et les écrivains d’alors avaient tous une veine de dandysme : Alfred de Musset imitait Byron et surtout Brummel ; Roger de Beauvoir, Balzac même par boutades, se piquaient d’être