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JULES DE GONCOURT

NÉ EN 1830 — MORT EN 1870

La voilà donc défaite cette individualité double qu’on appelait familièrement les Goncourt, sans jamais distinguer un frère de l’autre. Pour qui avait connu dans l’intimité ces deux âmes charmantes, réunies en une perle unique comme deux gouttes d’eau fondues ensemble, une inquiétude venait qu’on s’efforçait de chasser, mais qui reparaissait toujours. On se disait avec effroi : De ces deux frères, il y en a un qui mourra le premier, le cours naturel des choses le veut, à moins qu’une catastrophe heureuse et bénie ne les frappe tous deux en même temps. Mais le ciel est avare de ces bienfaits. Cette idée nous serrait le cœur et nous osions à peine songer à l’affreux désespoir qui suivrait une telle séparation. Avec la pointe d’égoïsme qui se mêle à l’amitié humaine la plus désintéressée, nous nous répétions : « Ce jour-là, nous ne le verrons pas. Plus avancés dans la vie, nous serons partis depuis bien des années ! » Eh bien, non. Ce jour-là, comme dit le funèbre cantique, est arrivé ; nous y étions, et jamais plus navrant spectacle n’a affligé nos yeux. Edmond, dans sa stupeur tragique, avait l’air