Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/210

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table comme un sujet anatomique, avec une plume acérée comme un scalpel ; il suffit de nommer Sœur Philomène, Germinie Lacerteux, Manette Salomon, Renée Mauperin, où se trouve ce type, si neuf et si actuel, de la jeune fille tintamarresque, et leur dernier ouvrage, Madame Gervaisais, où l’étude d’une âme lentement absorbée par le catholicisme se mêle à de magnifiques descriptions de Rome, mordues comme des eaux-fortes de Piranèse. Ils ont aussi tenté le théâtre avec une audacieuse originalité. Henriette Maréchal n’eut pas le bonheur de plaire à maître Pipe-en-Bois, étudiant de vingtième année. C’est dommage, car cet échec immérité détourna de la scène deux vocations qui s’annonçaient bien. Outre ces travaux, les Goncourt ont fait de curieuses études sur Watteau, Chardin, Fragonard, Saint-Aubin, Gravelot, Eisen, et tous ces petits maîtres du dix-huitième siècle qu’ils possèdent si bien, accompagnées de planches que Jules gravait aqua forte. Il est impossible de mieux saisir le caractère et l’art d’une époque injustement dédaignée. Ils ne comprenaient pas moins bien cet art du Japon, si vrai et si chimérique à la fois, d’une invention si féconde en monstruosités et d’un naturel si étonnant, et ils ont écrit à ce propos des pages d’une fantaisie exquise. N’oublions pas un livre intitulé : Idées et Sensations, qui représente le côté lyrique et rêveur de leur talent, et qui équivaut dans leur œuvre au volume de vers qu’ils n’ont pas écrit. Il y a là des choses charmantes, de l’esprit à foison, de la profondeur parfois, et des morceaux de description de la plus rare nouveauté. Si nous ne craignions que le sens de nos paroles fût mal interprété, nous dirions qu’il s’y trouve d’exquises symphonies de mots ; les mots ! Joubert les estime à leur vraie valeur, et les compare à des pierres précieuses qui s’enchâssent dans la phrase comme le