Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/211

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diamant dans l’or. Ils ont leur beauté propre, connue des seuls poëtes et des fins artistes.

Quand on parle d’un auteur, les noms de ses livres arrivent en foule et prennent toute la place. Mais, de quoi est mort Jules ? nous demandera-t-on. Il est mort de son métier, comme nous mourrons tous : de la perpétuelle tension de l’esprit, de l’effort sans repos, de la lutte avec la difficulté créée à plaisir, de la fatigue de rouler ce bloc de la phrase, plus pesant que celui de Sisyphe. À l’anémie s’ajoute bientôt la névrose, cette maladie toute moderne, qui naît des surexcitations de la vie civilisée, et contre laquelle la médecine est impuissante, car elle ne peut atteindre l’âme. On devient irritable, le moindre bruit vous agace ; on recherche, mais trop tard, le repos silencieux sous les ombrages. On s’arrange une maison : « La maison finie, la mort entre », comme dit le proverbe turc. Est-ce là tout ? Non, il y avait peut-être là-dessous un chagrin secret. Il manquait à Jules de Goncourt, apprécié, fêté, loué par les maîtres de l’esprit… eh ! quoi ? Le suffrage des imbéciles. On méprise et on éloigne le vulgaire ; mais s’il se le tient pour dit et ne vient pas, les plus fières natures en conçoivent des tristesses mortelles.

(Journal officiel, 25 juin 1870.)