Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
JULES JANIN.

où flamboient tant de belles pages ; le Piédestal, d’une donnée si hardie et d’une exécution si brillante ; Clarisse Harlowe, retirée de son cadre d’ennui et remise à neuf avec un soin pieux ; la Fin d’un monde, continuation et conclusion du Neveu de Rameau ; la Religieuse de Toulouse, et tant d’autres volumes bien pensés, bien écrits et bien imprimés, dignes en tout point de prendre place, au chalet de Passy, sur les rayons de la bibliothèque choisie à côté des éditions princeps des bons auteurs magnifiquement reliées par Bauzonnet, Cape, Petit et les maîtres de l’art ; orgueil et bonheur du lettré qui vit au milieu de ces richesses qu’il ne se contente pas de regarder, mais qu’il lit, qu’il étudie et dont il s’assimile la substance.

On le voit bien à son style.

Le discours de Janin sur le grand écrivain[1] qu’il remplaçait à l’Académie, tous les journaux l’ont répété et le critique du théâtre a rendu pleine justice au critique du livre : il en a dit la sagacité merveilleuse, l’intuition profonde, la finesse subtile, la patience d’investigation et ce don de tout comprendre, de tout pénétrer, de tout sentir, d’entrer dans les natures les plus opposées, de vivre leur vie, de penser leurs idées, de descendre jusqu’au fond de leurs replis les plus cachés, une lampe d’or à la main, et dépasser, comme les dieux indous, par une perpétuelle suite d’incarnations et d’avatars. Il admire comme il convient cette curiosité toujours éveillée, jamais assouvie, qui croit ne rien savoir si le moindre détail lui échappe. Homo duplex : l’homme est double, dit le philosophe. Pour Sainte-Beuve, il était souvent triple, et voulant compléter le portrait qui semblait achevé à tous, il demandait de nouvelles séances

  1. Sainte-Beuve.