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MADAME DORVAL.

folie ou du paradoxe, secouant l’arbre à le briser, animant tout, raillant tout, imprudente à se dépenser de mille façons et ne concevant pas que l’on puisse faire des économies.

Nullement ambitieuse de l’effet, n’affichant aucune prétention au mot, madame Dorval l’atteint sûrement, toutes ses témérités d’esprit sont heureuses. La candeur de cet esprit est son cachet, il vous monte au nez comme le bouquet du meilleur vin. Ce qu’il y a d’inouï chez madame Dorval, c’est qu’elle pourrait à coup sûr en tirer un autre parti. Nous ne craignons pas de dire que si madame Dorval voulait écrire n’importe quel livre sans le signer, le livre serait lu. Nous tenons en main un album où madame Dorval a consigné quelques pensées et maximes d’écrivains de tous les pays ; cet album est une Babylone de choses, on y rencontre les noms de Schiller, de Victor Hugo, de Napoléon, de Jésus-Christ, de Mahomet, de Sainte-Beuve, etc., etc. Ces extraits divers sont le résultat des lectures de madame Dorval, mais leur choix indique une fantaisie et une humour que rien ne peut rendre. Vous diriez, à parcourir ce livre, écrit en entier de la main de Marie Dorval, que vous suivez le fil d’une de ces bacchanales admirables de Jordaëns ; les pensées se croisent avec les histoires, la poésie avec la prose ; il y a des calculs d’arithmétique et des prédictions d’astronomie ; tout cela danse en spirale fantasque, tout cela forme autant de fusées qui semblent éclairer la route parcourue jusqu’ici par madame Dorval.

Nous nous sommes entendu demander plus d’une fois par des gens de province, moins béotiens que le miroitier précité : « Madame Dorval a-t-elle de l’esprit ? » Nous avons répondu à ces gens que nous ne pouvions décemment présenter chez l’aimable actrice. « L’avez--