Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/272

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chemin n’a encore qu’une seule voie, que le train de Madrid fût passé, et les abandonnés eurent le temps de regagner les wagons au pas de course et en poussant des clameurs lamentables.

Le pays était d’une nudité solennelle et grandiose ; aussi loin que la vue pouvait porter, on n’apercevait aucun village, aucun hameau, aucune ferme, pas même une cabane isolée. Les seuls accidents étaient de temps à autre un homme à cheval, un arriero poussant devant lui quelques ânes ou quelques mules qui prenaient une importance extrême dans cette vaste plaine déserte. Cependant les lignes commencèrent à se relever et à former des ondulations de plus en plus fortes. On approchait de la sierra de Guadarrama, dont les cimes s’ébauchaient à l’horizon. Des deux côtés de la voie se montraient de grosses pierres bleuâtres qui firent place à des blocs énormes et à des rochers de granit d’un entassement si bizarre, qu’ils semblerait artificiel si les forces de l’homme pouvaient, dans un but mystérieux, soulever de telles masses. Tantôt on eût dit des restes de constructions cyclopéennes, tantôt d’informes représentations d’animaux antédiluviens laissées à l’état d’ébauche par un titan maladroit s’essayant à la sculpture. D’autres fois, les rochers en