Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout le bassin était rempli de navires, de pyroscaphes, de barques pavoisées, de canots pressés en apparence à ne pouvoir se remuer. Une légère brise faisait palpiter les flammes et les banderoles de toutes couleurs ; les cheminées des bateaux à vapeur dégorgeaient leur fumée blanche ou noire ; les cordages, les vergues, les antennes s’entre-croisaient en fils menus comme les hachures d’un dessin, et, par interstices, l’eau brillait entre les embarcations comme un miroir brisé en un million de morceaux. Sur le quai circulait à pas lents une foule compacte ; mais la mer n’était pas moins peuplée que la terre ; les steamers qui d’instant en instant partaient pour la rade, où stationnait la flotte, s’enfonçaient et penchaient sous le poids des passagers ; les tambours des roues, la passerelle d’observation étaient chargés de monde ; pour occuper moins de place, les voyageurs se tenaient debout, il y en avait jusque sur le plat bord ; à peine si le pilote avait les bras libres pour faire tourner la roue du gouvernail. En certaines circonstances, la compressibilité de la foule est un phénomène vraiment incompréhensible : elle renverse, les jours de fête, l’axiome « le contenant doit être plus grand que le contenu ; » on n’a pas idée d’une agglomération pareille.