Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/55

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mais respectable et touchant. Pour les chaumières, la fabrique d’Epinal remplace le mont Athos, qui peuple le monde slavo-grec de ses décalques byzantins.

L’escalier conduisant aux étages supérieurs est assez bien conservé. Quatre élégantes colonnes en supportent les paliers et en forment la cage. Les révolutions des degrés sont douces et bien ménagées ; dans la principale pièce figurait naguère, au-dessus de la cheminée, le portrait de la belle Marguerite de Ravalet, qu’on a enlevé depuis. Elle est représentée, dit la notice, debout, dans la cour du château de Tourlaville, et entourée d’Amours aux yeux bandés, qu’elle repousse pour sourire à un seul dont les yeux sont sans bandeau et les ailes tachetées de sang. De la bouche de Marguerite part cette légende : Un me suffit.

Ç’a été pour nous un vif regret de ne pas voir cette peinture singulière et mystérieuse aux emblèmes énigmatiques, où le seul amour accepté est l’Amour clairvoyant, l’Amour aux ailes sanglantes !

Les autres chambres sont assez délabrées ; les boiseries se déjettent, les parquets baillent, les peintures chancissent et l’abandon règne en maître dans ce logis, que peut-être, le soir, hantent les spectres de ces terribles Ravalet dont l’amour même était un crime.