Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/54

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trueuse comme celle de la tragédie grecque et dont les murs semblaient suer le crime sur ceux qui les habitaient.

Aujourd’hui, rien ne rappelle ce passé sinistre. Le manoir est la propriété de M. de Tocqueville ; une famille de paisibles cultivateurs l’occupe, et s’arrange le mieux qu’elle peut dans cette ruine légendaire.

La grande salle du rez-de-chaussée, où l’on voit une haute cheminée à pilastres creusés de cannelures, est devenue la cuisine ; un lit enfermé dans une sorte de boîte à la mode bretonne, rappelant assez les cadres de navire, garnit l’un des angles. Des vases de cuivre jaune bien fourbi dont le nom local est canes — un ressouvenir grec, peut-être, maintenu à travers les siècles — sont rangés sur les planches avec des cuillers, des moules à chandelles et d’autres ustensiles aussi en cuivre ; sur les murs, l’imagerie d’Épinal a collé ses grossières gravures sur bois, plaquées de couleurs violentes. Nous avons remarqué dans ce musée campagnard un saint Thomas, accompagné d’une complainte en trente couplets. Ces images enluminées nous plaisent. Elles ont du caractère dans leur barbarie et indiquent chez leurs incultes possesseurs un naïf sentiment d’art, contenté à peu de frais sans doute,