Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/59

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au moment précis, était des plus saisissants ; ses immenses lignes aux arêtes douces se développaient avec une grâce sévère et une pureté irréprochable. L’utile arrivait par la grandeur à la beauté ; pas un ornement, pas une moulure : rien que la ligne droite et l’angle droit ; un seul ton, la couleur grise du granit, et c’était superbe.

Les cales de radoub et les formes de navires creusées au bord du quai et communiquant avec le bassin présentaient, au contraire, dans leurs lignes courbes, quelque chose de cette suavité de contours que possèdent les croupes évasées des sphinx égyptiens. Figurez-vous le moule en creux d’un vaisseau de cent canons imprimé dans une pâte qui serait devenue du granit.

Au bout du bassin avaient été dressées des tribunes, tendues en pavillons de navire, où l’on était en première loge pour voir l’arrivée du flot et le lancement de la Ville-de-Nantes, bouquet de cette grande fête navale.

L’Océan se précipitait à travers les ruines des batardeaux, poussant les terres, les poutres, les planches dans son impétueux tourbillon, et peu à peu ce fond de granit, qu’aucun œil humain ne reverra, disparais-