Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/76

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plaquées de mousses vertes ou violâtres et auraient fourni de bons premiers plans à des peintres d’aquarelle. Sur l’une d’elles, où l’on arrive en s’aidant des mains et des genoux, se creuse une empreinte en forme de pied que la légende dit avoir été laissée par le brodequin de l’archange guerrier lorsqu’il combattit le démon. Est-ce vraiment là qu’eut lieu cette lutte allégorique du bon principe contre le mauvais, qui a inspiré un si noble chef-d’œuvre à Raphaël ? C’est un point que nous ne discuterons pas, disposé que nous sommes à croire la tradition populaire, aussi vraie après tout que l’histoire prétendue sérieuse.

De cette mince rive, les rochers et les édifices, vus en raccourci, se présentent sous les angles les plus désordonnés et les plus pittoresques. Nous la suivîmes jusqu’à une tour dont le pied plongeait encore dans l’eau, et que nous contournâmes, au risque de mouiller nos chaussettes, en nous aidant de quelques pierres des fondations, et bientôt la porte de la ville — car il y a une ville au mont Saint-Michel — nous admit sans aucune des formalités exigées autrefois : nul farouche soudard, le pot en tête et le plastron sur l’estomac, ne nous fouilla d’un air rogue pour nous ôter nos armes. Nous nous trouvâmes dans une petite place irrégulière for-