Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/84

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blent s’accrocher de leurs ongles les chauves-souris de Goya. Cette salle à voûte surbaissée serait un excellent fonds pour une de ces fantastiques scènes d’inquisition que le Greco, dans sa folie, ébauchait d’une main fiévreuse ; le terrible pendule d’Edgar Poe ne descendrait-il pas bien de cette clef de voûte sur la poitrine d’un condamné ?

Telles étaient nos idées ou plutôt nos rêveries en suivant le directeur du mont Saint-Michel, qui avait la complaisance de nous guider lui-même à travers l’édifice, dont il n’ignore aucun secret. — Pardon si nous insistons sur tous ces recoins perdus qui semblent échapper à la description. La Merveille, cette superposition prodigieuse de tous les genres l’architecture qu’employa le moyen âge, sauf le gothique flamboyant, a été racontée bien des fois par des plumes plus capables que la nôtre. La zone inférieure de la Merveille est une vaste crypte dont les piliers trapus, ronds ou carrés, supportent des ogives à pointe émoussée d’une force de résistance que ni les siècles, ni les assauts, ni les écroulements n’ont pu ébranler depuis l’an 1117, date de leur construction, due à l’abbé Roger II. L’arrangement ses piliers au nombre d’une vingtaine, y forme trois nefs, et rien n’est plus majestueusement sévère dans sa pénombre