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Page:Gautier - Souvenirs de théâtre d’art et de critique.djvu/45

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LES CONTES D’HOFFMANN


Hoffmann est populaire en France, plus populaire qu’en Allemagne. — Ses contes ont été lus par tout le monde ; la portière et la grande dame, l’artiste et l’épicier en ont été contents. Cependant il semble étrange qu’un talent si excentrique, si en dehors des habitudes littéraires de la France, y ait si promptement reçu le droit de bourgeoisie. Le Français n’est pas naturellement fantastique, et en vérité il n’est guère facile de l’être dans un pays où il y a tant de réverbères et de journaux. — Le demi-jour, si nécessaire au fantastique, n’existe en France ni dans la pensée, ni dans la langue, ni dans les maisons ; — avec une pensée voltairienne, une lampe de cristal et de grandes fenêtres, un conte d’Hoffmann est bien la chose du monde la plus impossible. Qui pourrait voir onduler les petits serpents bleus de l’écolier Anselme en passant sous les blanches arcades de la rue de Rivoli, et quel abonné du National pourrait avoir du diable cette peur intime qui faisait courir le frisson sur la peau d’Hoffmann lorsqu’il écrivait ses nouvelles, et l’obligeait à réveiller sa femme pour lui tenir compagnie ? Et puis que viendrait faire le diable à Paris ? Il y trouverait des gens autrement diables que lui, et il se ferait