Page:Gautier - Souvenirs de théâtre d’art et de critique.djvu/46

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attraper comme un provincial. On lui volerait son argent à l’écarté ; on le forcerait à prendre des actions dans quelque entreprise, et s’il n’avait pas de papiers on le mettrait en prison ; Méphistophélès lui-même, pour lequel le grand Wolfgang de Goethe s’est mis en frais de scélératesse et de roueries et qui effectivement est assez satanique pour le temps et l’endroit, nous paraît quelque peu enfantin. Il est sorti tout récemment de l’université d’Iéna. — Nos revenants ont des lorgnons et des gants blancs, et ils vont à minuit prendre des glaces chez Tortoni ; — au lieu de ces effroyables soupirs des spectres allemands, nos spectres parisiens fredonnent des ariettes d’opéra comique en se promenant dans les cimetières. Comment se fait-il donc que les contes d’Hoffmann aient été si vite et si généralement compris, et que le peuple de la terre qui a le plus de bon sens ait adopté sans restrictions cette fantaisie si folle et si vagabonde ? — Il faut écarter le mérite de nouveauté et de surprise, puisque le succès se soutient et s’accroît d’année en année. — C’est que l’idée qu’on a d’Hoffmann est fausse comme toutes les idées reçues.

Arrêtez délicatement un littérateur ou un homme du monde par le bouton de son habit et acculez-le dans un angle de croisée ou sous une porte cochère, et, après vous être informé du cours de la Bourse et de la santé de sa femme, mettez-le sur le compte d’Hoffmann par la transition la plus ingénieuse que vous pourrez imaginer. — Je consens à devenir cheval de fiacre ou académicien de province s’il ne vous parle d’abord de la grosse pipe sacramentelle en écume de mer et de la cave de maître Luther à Berlin ; puis il vous fera cette remarque subtile qu’Hoffmann est un grand génie, mais un génie