Page:Gautier - Souvenirs de théâtre d’art et de critique.djvu/48

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Son crayon est vif et chaud ; il a l’esprit de la silhouette et découpe en se jouant mille profils mystérieux et singuliers dont il est impossible de ne pas se souvenir, et qu’il vous semble avoir connus quelque part.

Sa manière de procéder est très logique, et il ne chemine pas au hasard dans les espaces imaginaires, comme on pourrait le croire.

Un conte commence. — Vous voyez un intérieur allemand, plancher de sapin bien frotté au grès, murailles blanches, fenêtres encadrées de houblon, un clavecin dans un coin, une table à thé au milieu, tout ce qu’il y a de plus simple et de plus uni au monde ; mais une corde de clavecin se casse toute seule avec un son qui ressemble à un soupir de femme, et la note vibre longtemps dans la caisse émue ; la tranquillité du lecteur est déjà troublée et il prend en défiance cet intérieur si calme et si bon. Hoffmann a beau assurer que cette corde n’est véritablement autre chose qu’une corde trop tendue qui s’est rompue comme cela arrive tous les jours, le lecteur n’en veut rien croire. Cependant l’eau s’échauffe, la bouilloire se met à jargonner et à siffler ; Hoffmann, qui commence à être inquiet lui-même, écoute les fredonnements de la cafetière avec un sérieux si intense, que vous vous dites avec effroi qu’il y a quelque chose là-dessous qui n’est pas naturel et que vous restez dans l’attente de quelque événement extraordinaire : entre une jeune fille blonde et charmante, vêtue de blanc, une fleur dans les cheveux, ou un vieux conseiller aulique avec un habit gris de fer, une coiffure à l’oiseau royal, des bas chinés et de boucles de strass, une figure réjouissante et comique à tout prendre, et vous éprouvez un frisson de terreur comme si vous voyiez apparaître