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Page:Gautier - Souvenirs de théâtre d’art et de critique.djvu/47

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malade, et qu’effectivement plusieurs de ses contes ne sont pas vraisemblables. — La vignette qui le représente assis sur un tas de tonneaux, fumant dans une pipe gigantesque qui lui sert en même temps de marchepied, et entouré de ramages chimériques, de coquecigrues, de serpenteaux et autres fanfreluches, résume l’opinion que beaucoup de personnes, même parmi celles qui sont d’esprit, ont acceptée toute faite à l’endroit de l’auteur allemand. Je ne nie pas qu’Hoffmann n’ait fumé souvent, ne se soit enivré quelquefois avec de la bière ou du vin du Rhin et qu’il n’ait eu de fréquents accès de fièvre ; mais cela arrive à tout le monde et n’est que pour fort peu de chose dans son talent ; il serait bon, une fois pour toutes, de désabuser le public sur ces prétendus moyens d’exciter l’inspiration. Ni le vin, ni le tabac ne donnent du génie ; un grand homme ivre va de travers tout comme un autre, et ce n’est pas une raison pour s’élever dans les nues que de tomber dans le ruisseau. Je ne crois pas qu’on ait jamais bien écrit quand on a perdu le sens et la raison, et je pense que les tirades les plus véhémentes et les plus échevelées ont été composées en face d’une carafe d’eau. — La cause de la rapidité du succès d’Hoffmann est assurément là où personne ne l’aurait été chercher. — Elle est dans le sentiment vif et vrai de la nature qui éclate à un si haut degré dans ses compositions les moins explicables.

Hoffmann, en effet, est un des écrivains les plus habiles à saisir la physionomie des choses et à donner les apparences de la réalité aux créations les plus invraisemblables. Peintre, poète et musicien, il saisit tout sous un triple aspect, les sons, les couleurs et les sentiments. Il se rend compte des formes extérieures avec une netteté et une précision admirables.