Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/112

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cesse, et j’en prenais modestement la qualité. D’autres fois le roman se changeait en pastorale : vous étiez berger, j’étais bergère, et nos troupeaux se confondaient sur un pré du vert le plus tendre. Sans vous en douter, vous aviez pris une place considérable dans ma vie, et vous y dominiez en souverain. Je reportais à vous mes petits succès d’écolière, et je travaillais de toutes mes forces pour mériter votre approbation. Je me disais : « Il ne sait pas que j’ai gagné un prix ; mais s’il le savait, il serait content ; » et, naturellement paresseuse, je me remettais à l’œuvre avec une nouvelle énergie. — N’est-ce pas une chose singulière que cette âme d’enfant qui se donne en secret et se reconnaît vassale d’un seigneur de son choix qui n’a pu même soupçonner cet hommage lige ? N’est-il pas plus étrange encore que cette impression première ne se soit jamais effacée ? car elle a duré toute une vie, hélas ! bien courte, et se continue au delà. À votre aspect, quelque chose avait frémi en moi d’indéfinissable et de mystérieux, dont je n’ai compris le sens que lorsque mes yeux, en se fermant, se sont ouverts pour toujours. Mon état d’être impalpable, de pur esprit, me permet maintenant de vous raconter ces choses que cacherait peut-être une fille de la terre ; mais l’immaculée blancheur d’une came ne saurait rougir : la pudeur céleste avoue l’amour.