Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/111

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regard furtif. Vous pouviez alors avoir vingt ou vingt-deux ans, et dans ma naïveté enfantine, je vous trouvais très beau. L’air de bonté et d’affection avec lequel vous parliez à votre sœur me touchait et me séduisait, et je souhaitais d’avoir un frère qui vous ressemblât. Mon imagination de fillette n’allait pas plus loin. Comme les études de Mme  de Malivert étaient terminées, on la retira du couvent et vous ne revîntes plus ; mais votre image ne s’effaça pas de mon souvenir. Elle se conserva sur le vélin blanc de mon âme comme ces traits légers tracés au crayon par une main habile et qu’on retrouve longtemps après, presque invisibles mais persistants, seuls vestiges parfois d’un être disparu. L’idée qu’un si grand personnage pût m’avoir remarquée, moi qui étais encore dans la classe des petites et que les pensionnaires plus avancées traitaient avec une sorte de dédain, eût été par trop ambitieuse, et elle ne me vint même pas, du moins à cette époque ; mais je pensais bien souvent à vous, et dans ces chastes romans que rêvent les imaginations les plus innocentes, c’est vous qui remplissiez toujours le rôle du prince Charmant, vous qui me délivriez de périls fantastiques, vous qui m’enleviez à travers les souterrains, vous qui mettiez en fuite les corsaires et les brigands et me rameniez au roi mon père ; car, pour un tel héros, il fallait bien au moins une infante, une prin-