Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/128

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la scène et mit fin à mon embarras. À coup sûr l’aspect de cette belle salle étoilée de diamants et de bouquets, avec ses dorures, ses lumières, ses blanches cariatides, m’avait produit un effet de surprise admirative, et la musique de Bellini, exécutée par des artistes de premier ordre, m’entraînait dans un monde enchanté ; mais pourtant le véritable intérêt du spectacle n’était pas là pour moi. Pendant que mes oreilles écoutaient les suaves cantilènes du maestro sicilien, mes yeux furtivement scrutaient chaque loge, parcouraient le balcon et fouillaient les rangs de l’orchestre afin de vous y découvrir. Vous n’arrivâtes que vers la fin du premier acte, et, la toile baissée, vous fîtes un demi-tour vers la salle, d’un air assez ennuyé et regardant vaguement les loges sans fixer votre lorgnette sur aucune. Vous aviez le visage bruni par six mois d’Espagne, et dans la physionomie une certaine expression nostalgique comme si vous regrettiez le pays que vous veniez de quitter. Le cœur me battait avec une force extrême pendant que vous faisiez cette rapide inspection, car un instant je crus que vos yeux s’étaient arrêtés sur moi ; mais je m’étais trompée. Je vous vis quitter votre place et reparaître quelques instants après dans une loge en face de la nôtre. Elle était occupée par une jolie femme très parée, dont les cheveux noirs luisaient comme du satin et dont la robe d’un rose pâle se