Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/151

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mots en style électrique : « Manqué le train ; ne m’attendez pas ; désespéré. »

Le désappointement était cruel. Toute la semaine, j’avais caressé cette espérance qui s’évanouissait au moment d’être accomplie. Une tristesse que j’eus grand-peine à dissimuler s’empara de moi, et les roses que l’animation avait fait monter à mes joues se décolorèrent. Heureusement les portes de la salle à manger s’ouvrirent, et le maître d’hôtel annonça que « madame était servie. » Le mouvement qui se fit parmi les convives empêcha qu’on ne remarquât mon trouble. Quand tout le monde fut assis, une place resta vide à ma droite : c’était la vôtre, et pour que je n’en pusse douter, votre nom était écrit en belle ronde sur une carte enjolivée de fines arabesques en couleurs et posée près de votre rangée de verres. Ainsi l’ironie de la destinée était complète. Sans ce vulgaire contre-temps de chemin de fer, je vous aurais eu pendant toute la durée du repas, frôlant ma robe, et votre main pouvant effleurer la mienne dans ces mille petits services qu’à table la galanterie la moins empressée croit devoir rendre à une femme. Quelques paroles banales d’abord, comme tout prélude de conversation, eussent été échangées entre nous, puis, la glace rompue, l’entretien fût devenu plus intime, et votre esprit n’eût pas tardé à comprendre mon cœur. Peut-être ne vous aurais-je pas déplu, et,