Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/154

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Cette conversation me jeta dans un grand trouble. Vous alliez partir ; pour combien de temps ? Qui le savait ? Aurais-je la chance de vous rencontrer avant votre départ et de vous laisser au moins mon image à emporter ? C’est un bonheur auquel je n’osais plus croire après tant d’essais inutiles.

De retour à la maison, après avoir rassuré ma mère, qui sur ma pâleur m’avait crue malade, ne pouvant soupçonner ce qui se passait dans mon âme, je me mis à réfléchir profondément sur ma situation. Je me demandai si cet entêtement des circonstances à nous séparer n’était pas comme un secret avis de la destinée auquel il serait dangereux de ne pas obéir. Peut-être deviez-vous m’être fatal et avais-je tort de m’obstiner ainsi à me trouver sur votre passage. Ma raison seule parlait, car mon cœur n’acceptait pas cette idée et voulait jusqu’au bout courir les risques de son amour. Je me sentais invinciblement attachée à vous, et ce lien, si frêle en apparence, était plus solide qu’une chaîne de diamants. Par malheur il ne liait que moi. « Que le sort des femmes est douloureux ! me disais-je : condamnées à l’attente, à l’inaction, au silence, elles ne peuvent, sans manquer à la pudeur, manifester leurs sympathies ; il faut qu’elles subissent l’amour qu’elles inspirent et elles ne doivent jamais déclarer celui qu’elles ressentent. Dès que mon âme s’est éveillée, un