Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/155

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sentiment unique s’est emparé d’elle, sentiment pur, absolu, éternel, et l’être qui en est l’objet l’ignorera peut-être toujours. Comment lui faire savoir qu’une jeune fille, qu’il aimerait sans doute s’il pouvait soupçonner un tel secret, ne vit et ne respire que pour lui ? »

Un instant j’eus l’idée de vous écrire une de ces lettres comme parfois, dit-on, les auteurs en reçoivent, où, sous le voile de l’admiration, se laissent deviner des sentiments d’un autre genre et qui sollicitent quelque rendez-vous non compromettant dans un théâtre ou dans une promenade ; mais ma délicatesse féminine se révoltait contre l’emploi d’un pareil moyen, et j’avais peur que vous ne me prissiez pour un bas bleu voulant faire par votre protection recevoir un roman à la Revue des Deux Mondes.

D’Aversac avait dit vrai. La semaine suivante vous étiez parti pour le Caire avec votre pacha. Ce départ, qui rejetait mes espérances à une époque incertaine, m’inspira une mélancolie que j’avais peine à cacher. L’intérêt de ma vie était suspendu. Je n’avais plus de coquetterie, et quand j’allais dans le monde, je laissais ma femme de chambre décider du choix de mes parures. À quoi bon être belle puisque vous n’étiez pas là ! Je l’étais cependant encore assez pour être entourée comme Pénélope d’une cour de prétendants. Peu à peu, notre salon fréquenté par les amis de mon père, hommes