Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/17

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avait eu comme tout le monde quelques bonnes fortunes. Deux ou trois femmes incomprises, plus ou moins séparées de leurs maris, l’avaient proclamé leur idéal, à quoi il avait répondu : « Vous êtes bien honnêtes », n’osant pas leur dire qu’elles n’étaient pas du tout son idéal à lui ; car c’était un garçon bien élevé que Malivert. Une petite figurante des Délassements-Comiques, à qui il avait donné quelques louis et un talma de velours, se prétendant trahie, avait essayé de s’asphyxier en son honneur ; mais, malgré ces belles aventures, Guy de Malivert, sincère envers lui-même, reconnaissait qu’arrivé à cet âge solennel de vingt-neuf ans, où le jeune homme va devenir homme jeune, il ignorait l’amour, tel du moins qu’il est dépeint dans les poèmes, les drames, les romans, ou même comme le représentaient ses camarades par leurs confidences ou leurs vantardises. Il se consolait très aisément de ce malheur en songeant aux ennuis, aux calamités et aux désastres qu’entraîne cette passion, et il attendait avec patience le jour où devait paraître, amené par le hasard, l’objet décisif qui le devait fixer.

Cependant, comme souvent le monde dispose de vous à sa fantaisie et selon sa convenance, il avait été décidé dans la société que fréquentait plus particulièrement Guy de Malivert qu’il était amoureux de Mme d’Ymbercourt, une jeune veuve à laquelle il faisait d’assez nombreuses visites. Les