Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/203

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barbelée en os de poisson. Cette flèche avait été trempée dans le curare, ce venin terrible dont les Indiens d’Amérique ont seuls le secret et qui foudroie ses victimes sans que nul contre-poison puisse les sauver.

Il tenait la flèche près de sa main qu’il allait piquer, lorsque soudain Spirite apparut devant lui, éperdue, effarée, suppliante, et lui jeta au cou ses bras d’ombre avec un mouvement de passion folle, le serrant sur son cœur de fantôme, le couvrant de baisers impalpables. La femme avait oublié qu’elle n’était plus qu’un esprit.

« Malheureux, s’écria-t-elle, ne fais pas cela, ne te tue pas pour me rejoindre ! Ta mort ainsi amenée nous séparerait sans espoir et creuserait entre nous des abîmes que des millions d’années ne suffiraient pas à franchir. Reviens à toi, supporte la vie, dont la plus longue n’a pas plus de durée que la chute d’un grain de sable ; pour supporter le temps, songe à l’éternité où nous pourrons nous aimer toujours, et pardonne-moi d’avoir été coquette. La femme a voulu être aimée comme l’esprit, Lavinia était jalouse de Spirite, et j’ai failli te perdre à jamais. »

Reprenant sa forme d’ange, elle étendit les mains au-dessus de la tête de Malivert, qui sentit descendre sur lui un calme et une fraîcheur célestes.