Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/66

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me suis toujours arrangé de façon à être trahi et quitté ; mon amour-propre faisait volontiers ce petit sacrifice à mon repos. Ainsi, je ne crois pas avoir laissé derrière moi dans la vie beaucoup d’Arianes inconsolables ; dans ces historiettes de mythologie parisienne, l’arrivée de Bacchus précédait régulièrement le départ de Thésée. D’ailleurs, je dois l’avouer, dussé-je vous donner une idée médiocre de mes facultés affectives, je n’ai jamais senti pour personne cette passion intense, exclusive, éperdue, dont tout le monde parle sans l’avoir éprouvée peut-être. Aucun être ne m’a inspiré l’idée de m’attacher à lui par un lien indissoluble, ne m’a fait rêver ces projets d’existences doubles confondues en une seule et ces fuites vers un de ces paradis d’azur, de lumière et de fraîcheur que l’amour, dit-on, sait construire, même dans une chaumière ou dans un un grenier.

— Cela ne veut pas dire, mon cher Guy, que vous ne soyez capable de passion ; il y a bien des sortes d’amours, et, sans doute, vous étiez réservé, là où se décide le sort des âmes, à de plus hautes destinées. Mais il en est temps encore, le consentement de la volonté donne seul prise aux esprits sur nous. Vous êtes sur le seuil d’un monde illimité, profond, mystérieux, plein d’illusions et de ténèbres où se combattent des influences bonnes et mauvaises qu’il faut savoir