Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/84

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bouillonnement d’un devenir perpétuel. De temps en temps, devant cette irradiation immense passaient, comme des oiseaux devant le disque du soleil, des esprits discernables non par leur ombre, mais par une lumière différente. Dans cet essaim, Guy de Malivert crut reconnaître Spirite, et il ne se trompait pas, quoiqu’elle ne parût qu’un point brillant dans l’espace, qu’un globule sur la clarté incandescente. Par ce rêve qu’elle provoquait, Spirite avait voulu se montrer à son adorateur dans son milieu véritable. L’âme, dénouée pendant le sommeil des liens du corps, se prêtait à cette vision, et Guy put voir quelques minutes avec l’œil intérieur, non pas l’extramonde lui-même, dont la contemplation n’est permise qu’à des âmes tout à fait dégagées, mais un rayon filtrant sous la porte mal fermée de l’inconnu, comme d’une rue sombre on voit sous la porte d’un palais illuminé en dedans une raie de vive lumière qui fait présumer la splendeur de la fête. Ne voulant pas fatiguer l’organisation encore trop humaine de Malivert, Spirite dissipa les visions et le replongea de l’extase dans le sommeil ordinaire. Guy eut la sensation, en retombant dans la nuit du rêve vulgaire, d’être pris comme un coquillage dans une pâte de marbre noir par des ténèbres d’une densité impénétrable ; puis tout s’effaça, même cette sensation, et Guy, pendant deux heures, se retrempa dans ce non-être d’où la vie jaillit plus jeune et plus fraîche.