Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/93

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savait assez le monde pour distinguer les amours, les intrigues, les flirtations qui faisaient mouvoir cette foule choisie qu’on a bientôt démêlée de la foule vague, de ce troupeau de comparses ameuté sans le comprendre autour de tout spectacle, et dont l’utilité est d’empêcher l’action d’apparaître trop nue et trop claire. Mais il contemplait tout cela d’un œil désormais désintéressé, et même il vit passer sans en éprouver la moindre jalousie une personne fort charmante, qui naguère avait eu des bontés pour lui, appuyée d’une façon intime et sympathique au bras d’un beau patineur.

Bientôt il rendit les rênes à Grymalkin, qui piaffait d’impatience dans la neige, lui tourna la tête vers Paris et se mit à descendre l’allée du lac, Longchamp perpétuel de voitures où les piétons ont le plaisir de voir reparaître dix ou douze fois en une heure la même berline à caisse jaune garnie de sa douairière solennelle, et le même petit coupé œil de corbeau, montrant à sa portière un bichon de la Havane et une tête de biche coiffée à la chien, plaisir dont ils ne semblent pas se lasser.

Guy s’en retournait modérant l’allure de sa bête, qui eût pu renverser quelqu’un dans cette allée trop fréquentée pour abandonner le noble animal à toute sa vitesse, et d’ailleurs il n’est pas de bon ton d’aller grand train sur cette piste privilégiée. Il vit venir vers lui une calèche bien connue qu’il aurait désiré ne pas rencontrer.