Page:Gautier - Tableaux à la plume, Fasquelle, 1880.djvu/166

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dieux peut-être, mais utiles à connaître. Les générations venues deux ou trois siècles après la grande époque de la peinture n’ont vu les chefs-d’œuvre de l’art que déjà défigurés par la fumée du temps, les encroûtements de vernis et la lèpre des restaurations ; si l’on peut juger encore sous ce triple voile du style et du trait d’un dessinateur, il est impossible d’apprécier sainement le mérite d’un coloriste. Quels cris de surprise et de douleur, s’ils étaient ramenés à la vie, pousseraient Titien, Corrège, Paul Véronèse, Murillo, et les autres, devant leurs œuvres safranées, bituminées, dorées comme au four ! Ils ne se reconnaîtraient plus sous ce teint de mulâtre, eux si blonds, si clairs, si vermeils, eux, jadis la fête et l’enchantement des yeux !

Sous les mains prudentes des restaurateurs actuels, la Cuisine des anges a trahi de singulières libertés prises par leurs prédécesseurs. En vérité, on agissait sans façon avec les grands maîtres ! Tel personnage a perdu une jambe à la bataille, tel autre en a gagné une troisième, empruntée à un confrère ; une gloire argentée a été recouverte d’une couche de couleur potiron ; les petits anges du premier plan, qui tiennent une corbeille, ont été refaits sans la moindre nécessité. Aux légumes contenus dans le panier, concombres, tomates, oignons, piments rouges, pour mieux régaler les moines apparemment, le restaurateur avait ajouté de la salade