Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/155

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pain ne manquait pas. Le stock de bœuf, comme on dit maintenant, était encore considérable, et la cherté des fourrages rendait abondante la viande des chevaux sacrifiés ; car le public ne mordait que faiblement à l’hippophagie. Les animaux ne souffrirent pas d’abord ; le menu des pâtées resta à peu près le même, mais bientôt les choses changèrent : la résistance se prolongeait, et la ration des bêtes diminua comme celle des hommes. Les pauvres créatures n’y comprenaient rien et vous regardaient de leurs yeux étonnés quand on plaçait devant eux leur maigre pitance. Ils avaient l’air de demander : « De quoi sommes-nous coupables, et pourquoi nous punit-on de la faute que nous n’avons pas commise ? » Plusieurs chiens furent abandonnés ou perdus par leurs maîtres, qui n’avaient pas le courage de les tuer, car « ce qu’il y a de mieux dans l’homme, c’est le chien, » comme dit le troupier de Charlet, et il faut une nécessité bien dure pour se défaire de cet ami à quatre pattes ; plus d’un pauvre diable a partagé avec lui sa dernière croûte, et, dans un club, quand on fit la motion de sacrifier impitoyablement toutes ces gueules inutiles, il y eut une révolte générale des cœurs