Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/207

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l’esprit, et se connaissait au théâtre mieux qu’un critique du lundi. C’était un beau jeune homme aux cheveux blonds, abondants et touffus, retombant sur le front, à la barbe frisée, aux traits réguliers et purs, d’un galbe antique et rappelant le buste de Lucius Vérus. Il semblait robuste dans sa sveltesse, quoiqu’il eût, au fond, sous ses larges pectoraux, la poitrine délicate.

Mais nul ne pouvait soupçonner un dénoûment si triste et si rapide à cette existence commencée sous les plus heureux auspices et à laquelle tout semblait sourire. Une nuit, il prit froid au rempart, pendant une de ces factions que la lune éclaire de sa lueur glacée et mortelle répercutée par la neige. Il tint bon le plus qu’il put, car en ces moments suprêmes la maladie semble une désertion et comme le refuge de la lâcheté, pensée insupportable à une âme généreuse et fière ; mais le mal fut le plus fort et il fallut bien abandonner le lit de camp pour la couche de l’agonie.

Le pauvre artiste dans ses nuits de souffrance, quand le délire de la fièvre commençait à troubler sa pensée, murmurait : « Est-il heureux, Regnault ! au moins il a été tué par une balle, lui ! » C’est une noble jalousie de mourant, qu’on