Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/211

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davantage. Le sort leur fut, à l’un et à l’autre, avare de jours, mais ils les ont bien employés, et quoique emportés si jeunes, tous deux ont trouvé le temps de prouver leur valeur et de faire deviner ce qu’ils contenaient de projets et de rêves pour les œuvres futures.

L’autre jour — mardi 21 février, — mardi gras ! le hasard a parfois de ces amères ironies qu’on croirait calculées par une méchanceté diabolique, le portail de Saint-Philippe du Roule était tendu de noir. Un G d’argent brillait sur la litre funèbre, et les amis du défunt, vieux et jeunes, amaigris par la famine, se traînaient vers l’église comme des spectres.

Nous étions tout près du catafalque qui recouvrait celui que nous avions vu, il y a quelques mois à peine, jeune, beau, souriant, aimé ; et si l’on nous eût dit : « C’est toi qui jetteras l’eau bénite sur son cercueil, » on n’eût provoqué chez nous qu’un geste de dénégation et d’incrédulité.

Les jeunes sont pressés, les jeunes vont devant,

selon le vers du grand poëte Victor Hugo, que nous murmurions malgré nous à travers les répons de la liturgie. Les cierges brûlaient sur le