Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/370

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n’est pas si frivole qu’il en a l’air ; il ne s’occupe pas seulement de modes, de courtisanes, de courses, de petits théâtres, de bals publics, de fins soupers, de promenades au Bois, — au temps où il y avait encore un Bois, — de cancans de coulisse, de racontars, de l’attelage en Daumont de telle ou telle impure à cheveux jaunes ; il cherche, il invente, il crée. C’est la ville par excellence de la pensée et du travail ; du travail incessant, acharné, fiévreux, diurne et nocturne. Nulle part l’homme n’exige plus de lui-même, tout autre s’affaisserait sous ce labeur excessif ; lui, résiste et continue. Dans cette cité prodigieuse qui réunit tous les contrastes, qui est à la fois le tourbillon et le désert, on peut dépenser des millions et vivre avec trente sols par jour, on peut à son gré se créer une thébaïde ou habiter la place publique, ne connaître personne ou connaître tout le monde. On a la liberté du travail et la liberté du plaisir. Si vous levez les yeux par une nuit de février, pendant que le carnaval s’enroue à crier son évohé devant les ifs de gaz de l’Opéra, que les roues des coupés brûlent le pavé de leurs disques étincelants, qu’un incendie intérieur de bougies fait flamboyer les vitres des cabarets à la