Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/182

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Les parfums que répand l’étal du rôtisseur ;
Rien n’est changé… Voici la maison de ma femme…
Pauvre femme !… J’ai dû faire un vide en son âme !
Il le fallait ; j’ai fui… Je ne sais pas pourquoi
La justice s’était prise d’un goût pour moi ;
Elle s’inquiétait de mes chants à la lune,
De mes moyens de vivre et de chercher fortune ;
Pour lui faire sentir son indiscrétion,
Je rompis, un beau jour, la conversation ;
Et j’allai, n’aimant pas qu’en route on m’accompagne,
Errer incognito sur les côtes d’Espagne,
Où je fis connaissance avec d’honnêtes gens,
Très-peu questionneurs et très intelligents.
Nous menions, sur la mer, une charmante vie,
Quand notre barque fut aperçue et suivie
Par un corsaire turc plus fin voilier que nous.
Mes braves compagnons se firent hacher tous !
Comme il faisait très chaud, moi, de crainte du hâle,
J’étais allé chercher de l’ombre à fond de cale ;
Mais bientôt, de mon coin brutalement extrait,
Je sentis à mon col un nœud qui le serrait.
Ma pose horizontale en perpendiculaire
Se changea. J’aperçus, dans l'onde bleue et claire,
Un reflet s’agiter et s’allonger en i,
Je fis un entrechat, et couac…, tout fut fini !
Quel moment !… Mais le ciel dans sa miséricorde,
Voulut que l’on coupât un peu trop tôt la corde ;
Je tombai dans la mer, et, des vagues poussé,
Par des pêcheurs je fus, près du bord, ramassé.
C’est jouer de bonheur ! Pourtant cette aventure
Me donne, dans le monde, une étrange posture ;
Et c’est une apostrophe à rester confondu,
Si quelqu’un me disait : « Voyez Pierrot pendu ! »