Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/195

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Pierrot.
Je suis mon spectre. Ah bah ! J’apparais, je reviens,
Pur esprit dégagé des terrestres liens,
Et tout tranquillement, devant qu’il fasse sombre,
Au soleil de midi je réchauffe mon ombre.

Colombine.
Je t’avais vu, Pierrot, et j’ai voulu, par jeu
Au moyen d’Arlequin te tourmenter un peu.

Pierrot.
Qui ? moi, m’inquiéter de ces billevesées ?
Dans l’autre monde on a de plus graves pensées !

Colombine.
Je t’aime.

Pierrot.
Je t’aime. Je suis mort.

Colombine.
Je t’aime. Je suis mort. Allons donc !

Pierrot.
Je t’aime. Je suis mort. Allons donc ! J’ai vécu.

Colombine.
Embrasse-moi.

Pierrot.
Embrasse-moi. Fi donc ! Faire Arlequin cocu ?
C’est votre époux ! j’irais commettre un adultère,
Et, funèbre galant sorti de dessous terre,
Faire, en flagrant délit de conversation
Criminelle, surprendre une apparition ?
Non ! je suis trop moral !

Colombine.
Non ! je suis trop moral ! Quelle étrange folie !
Laisse-toi caresser.
––Pierrot fait un geste de dénégation.
Laisse-toi caresser. Ne suis-je plus jolie, ––
Que ta petite femme, hélas ! ne te plaît plus ?