Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/214

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Pour dérider le spleen, l’humour hasarde tout.
Anglais, de leur terroir ils ont gardé le goût,
Et, sans être gênés par les rimes françaises,
Les coudes sur la table, ils vont prendre leurs aises :
Vous les excuserez s’ils ne sont pas parfaits.
Après tout, c’est ainsi que Shakspear les a faits ;
Que les a vus passer sa haute fantaisie,
Dorés par un reflet de vin de Malvoisie.
Du fond de la taverne, où rêveur il songeait,
De son vaste cerveau m’élançant d’un seul jet,
J’apparus tout à coup, riant, vermeil, énorme,
Et le Bacchus du Nord s’incarna sous ma forme.
La pourpre de mon sang est faite de vin pur ;
Sur un pied chancelant je porte un esprit sûr,
Et ma gaîté pétille, ainsi qu’au bord du verre,
En globules d’argent une mousse légère ;
Car tout ce que je bois se résout en esprit,
Et la triste Albion par mes lèvres sourit ;
La bonne humeur du prince à la mienne s’allume,
Ma verve est le soleil de toute cette brume,
Et mon ivresse ardente, où chaque mot reluit,
Tire un feu d’artifice au milieu de leur nuit.
C’est fort bien John Falstaff ; mais que dit la morale :
Une telle conduite est un affreux scandale !
Public, rassure-toi : toujours au dénoûment
Pour des gueux comme nous paraît le châtiment ;
Attends-le sans colère, et souffre que je rentre
Pour me rougir le nez et mettre mon faux ventre.