Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/229

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Voici l’impluvium ; mais son ciel est moins pur ;
Pompéia n’a pas su conserver son azur.

— Que de fois, oubliant le vol de l’heure agile,
Sur ce banc j’ai relu Théocrite ou Virgile,
Pendant que la cigogne, un pied dans le bassin,
Immobile, rêvait, son long bec sur son sein !
Que de fois j’effeuillai les fleurs de ces arbustes,
Distraite… — Mais quel est, au milieu de ces bustes,
Ce marbre radieux au solennel maintien ?
Je ne sais… Est-ce Mars, Apollon Pythien ?
Serait-ce Jupiter ? L’aigle à ses pieds palpite ;
Une pensée immense en son front vaste habite ;
Ses yeux fixes et blancs sont ceux d’un immortel.
Dans nos temples, pourtant, il n’avait point d’autel.
Homère pour héros l’eût aimé mieux qu’Achille.
Il semble encor plus grand que le Titan d’Eschyle ;
Et, sans la chaîne d’or, il pourrait de sa main
Lever toute la terre avec le genre humain !
À cette majesté sérieuse et profonde
Se devine celui qui renverse et qui fonde.
On dirait le Génie et l’ancêtre du lieu ! —
Mais je tremble, — mon toit n’abritait pas de Dieu !
Et sur un autre front je vois, comme une flamme,
Rayonner sa pensée et revivre son âme.
— L’effroi me prend. — Pauvre ombre éveillée à demi,
Fantôme d’un passé qu’on croyait endormi,
J’allais, sans prendre garde aux feux de ces couronnes,
Admirant les trépieds, les bronzes, les colonnes,
Notant chaque détail, m’extasiant sur tout,
Heureuse de trouver Pompéi toujours debout ;
Je ne me doutais pas qu’une docte imposture
Faisait pour me tromper, mentir l’architecture ;
Que l’antique était neuf, que j’étais à Paris.